« La vigne rouge », toile de la période d’Arles, est réputée être la seule toile jamais vendue par Van Gogh. Van Gogh, l’artiste qui a contribué, à son insu, plus qu’aucun autre, au mythe de « l’artiste maudit ». Ou, si vous voulez, du «génie fou ». Mais si on étudie la vie de Van Gogh, on constate que « La vigne rouge » n’est pas la seule oeuvre vendue par Vincent. A l’époque où il étudiait à Anvers, deux de ses connaissances (Tersteeg et l’oncle Cor d’Amsterdam, cf. Sweetman) lui ont commandé et payé plusieurs dessins de paysages. Il y a même des auteurs qui doutent que « La Vigne rouge » fut bel et bien la peinture vendue pour 400 fr. à l’exposition des XX à Bruxelles !*
(Note * D’après Ronald Pickvance (« Van Gogh en Arles » p. 206), la peinture achetée par Anna Boch à l’exposition des XX n’était pas «La Vigne rouge» mais un autre tableau (non identifiée). Elle aurait acquis « La vigne rouge» ultérieurement, après la mort de Van Gogh, quand ses peintures étaient encore “accessibles”…)
De toute façon, en ce qui concerne le mythe de l’artiste maudit, la vérité historiques est sans importance… Disons, donc, que « La vigne rouge » a été la seule peinture de Vincent vendue PUBLIQUEMENT. Puisque la légende le veut… Et, c’est connu, un mensonge, répété suffisamment de fois, devient une vérité…
Pas surprenant que même les plus prestigieux des historiens de l’art ont succombé à la légende tenace de Van Gogh, l’artiste qui n’a vendu qu’une seule toile dans sa courte vie…Ne nous fions pas trop, d’ailleurs, aux historiens d’art, car même les plus réputés sont capables d’erreurs stupéfiantes. Un exemple : Sir Ernst Gombrich, dont l’ « Histoire de l’art » constitue depuis des dizaines d’années « La Bible » des étudiants en art, confond – sans jamais corriger cette erreur dans les éditions successives de son oeuvre! – la date de la mort de Vincent (29 juillet 1890) avec celle de son frère Théo (janv. 1891)! (page 435) Si des sommités pareilles ont fait des erreurs aussi flagrantes, on doit procéder avec prudence quand on étudie un mythe aussi tenace et multiforme que celui de l’artiste maudit, ou rien n’est ce qu’il semble être…
Bien sur, Van Gogh n’est pas le premier des artistes «maudit ». L’époque romantique foisonne de génies plus ou moins fous (Schopenhauer fu celui qui a “lié” le génie à la folie), plus ou moins « maudits »… C’est vrai, ils sont surtout des poètes et des philosophes : les exemples d‘Holderin, de Nietzsche, de Baudelaire ou de Gérard de Nerval sont «clas-siques »…
Mais, en ce qui concerne la peinture, c’est Van Gogh, Gauguin, Toulouse-Lautrec, suivis, dans les années « folles » (1914 – 1929) par Modigliani, Utrillo, Pascin, qui ont établi et consolidé ce mythe de l’artiste maudit, un des plus persistants des mythes modernes…
Qu’est-t-il, en définitive, ce mythe-là ? C’est l’image de l’artiste, “génie fou”, projetée (et déformée…) dans la perception du public: il (ou, beaucoup plus rarement, elle) est pauvre, souvent dans la dèche ; son génie n’est reconnu qu’après sa mort (il DOIT payer de sa vie pour être reconnu) ; traditionnellement, ses toiles multiplient de façon spectaculaire leur valeur, post-mortem ; et plus sa mort est VIOLENTE, SANGLANTE OU SORDIDE mieux c’est pour les marchands d’art…et pour le mythe.
D’ailleurs, on ne peut pas négliger le rôle ESSENTIEL que le cinéma (et les MEDIAS, en général) ont dans la création, l’amplification et la mondialisation du mythe. Par exemple, il y a au moins 3 films sérieux sur la vie de Van Gogh, qui ont perpétué est peaufiné le mythe : « La joie de vivre » (1956) film de Vincente Minelli, avec Kirk Douglas (Van Gogh), “Vincent &Theo” (1990) le film de Robert Altman, avec Tim Roth dans le rôle de Vincent et, le plus récent (et, d’après moi, le meilleur) le «Van Gogh »(1991) de Maurice Pialat, avec Jacques Dutronc dans le rôle-titre.*
* Je prépare une étude séparé de “Van gogh dans le cinéma”…
Pour le public qui ne lit pas beaucoup le cinéma a fait une œuvre irremplaçable dans l’implantation du mythe de l’artiste maudit… et dément. Cette démence des artistes était très souvent induite par une des deux maladies « romantiques», qui ont décimé sans pitié la bohème du XIXe et du début du XXe siècle : la syphilis. (L’autre c’est la tuberculose…) Parmi les génies artistiques de l’époque: Baudelaire, Gauguin, Toulouse-Lautrec, Vincent et Théo van Gogh ont été les victimes… Comme la pénicilline n’existait pas encore, le pronostic était fatal et la folie, inévitable.
De toute façon, pour notre sujet, le diagnostic exact de Van Gogh n’est pas essentiel. Durant sa vie, il a été pauvre, il a été méconnu et méprisé – je me demande combien, parmi les personnes qui lui vouent aujourd’hui une vénération sans limites, l’aurait invité, vivant, à leur souper du dimanche?
Il s’est donné la mort à 37 ans. Sa folie, sa mort tragique ont contribué à faire de lui une légende, un mythe. Un mythe amplifié aussi, presque démesurément, par les prix fous que ses peintures ont obtenu – post-mortem…(En Amérique du Nord, surtout, le prix d’une peinture est un élément primordial dans l’intérêt que le public porte à un artiste ou à un autre…72 millions de USD fait emflamer les imaginations…) D’ailleurs, sans beaucoup de chance, Van Gogh, le “génie fou”, aurait pu ne jamais exister dans l’imaginaire collectif…(Parce que la chance, le hasard, jouent un rôle essentiel dans la création des légendes, des réputations, dans le monde artistique).
Imaginez-vous qu’il aurait décédé à 50-60 ans, après un vie tranquille et de façon banale, (d’un cancer de la prostate), qu’il aurait vendu, à prix raisonable, la plupart de ses tableaux à des amateurs quelconques et que, après sa mort, ses lettres auraient été jetées à la poubelle par des héritiers ignorants ou pudiques… Il ne serait qu’un autre artiste quasi-anonyme de plus (comme Monticelli, assez pittoresque, d’ailleurs, et qui a été sorti de l’oubli surtout parce que Vincent l’admirait tant et parce qu’il a été l’ami de Cézanne, un autre artiste presque maudit…). Vincent aurait-t-il peut-être préféré avoir une vie heureuse plutôt qu’une gloire posthume? Éventuellement, son œuvre aurait gagné une certaine notoriété mais pas la gloire universelle. La chance, le hasard, ont décidé autrement…
C’est vrai, sa légende, son mythe, celui de l’artiste maudit, n’a pas été instantané. Il a fallu des années et des années pour le bâtir et les paradoxes n’ont pas manqué dans le processus…
Prenons, par exemple, la légende tenace de «l’unique tableau vendu»: le fait qu’il n’a presque rien vendu de son vivant, a énormément avantagé la propagation ultérieure de son œuvre. Concentrée principalement dans les mains de Johanne Bonger-Van Gogh, la veuve de Théo, l’ensemble de l’œuvre de Vincent a pu être utilisé, sans les empêchements habituels, pour organiser les grandes rétrospectives qui ont fait de lui l’artiste universellement connu. De nos jours, la même concentration de l’essentiel de l’oeuvre a permis l’organisation dans son pays natal du Musée de la Fondation Vincent Van Gogh… Johanne Bonger-Van Gogh a aussi traduit en français la plupart des lettres de la correspondance Vincent – Théo. Son oeuvre a été continuée par d’autres traducteurs passionnés et, aujourd’hui, la vie de Vincent Van Gogh est parmi les vies d’artistes les mieux documentées . Ces lettres lui ont consolidé et amplifié la réputation. Traduites dans presque toutes les langues du globe dans de nombreuses éditions successives (seulement la Bible et les œuvres de Lenin ont connu des éditions plus importantes !) ses “Lettres” l’ont non seulement élevé au rang de génie de la peinture mais l’ont aussi classé comme l’un des écrivains les plus sincères, les plus touchants des temps modernes. Lui, qui souhaitait que la peinture ne soit pas l’apanage des élites mais un objet de tous les jours, destinés à égayer la vie des humbles, aimerait voir que ses peintures, reproduites en milliards d’exemplaires, sont aujourd’hui un peu partout.
Il n’est pas inutile d’observer aussi que le mythe de l’artiste maudit est de nos jours plus facile à créer et à répandre, avec la contribution des médias quasi-instantanées comme la télévision ou Internet.
Mais tout dépend de la chance, comme toujours…
Bien sûr, la gloire de Vincent, tout comme celle de la plupart des artistes « maudits », a été posthume. Lui, il n’a connu que l’échec, la déchéance physique, la solitude, le suicide. Sa seule « joie de vivre » a été celle de la création. Tout comme un des premiers “artiste maudit”, François Villon, qui disait “confort reprends en triste désespoir”, Vincent a puisse dans sa souffrance pour créer les superbes “champs de blé” et les “tournesols” connus partout. La création désintéressée, comme « les oiseaux chantent », a été sa seule vraie satisfaction.
Accessible même et peut-être surtout aux artistes maudits…
Ion Vincent Danu
N.A. Le 27 juillet, il y a 117 ans, Vincent Van Gogh se tirait un balle dans la poitrine. Le 29 juillet, avec son frère Théo à son chevet, il mourait. Prototype de l’artiste maudit il a laissé une des oeuvres picturales et littéraires les plus considérables des temps modernes. Son “Portrait du dr. Gachet” a été vendu, chez “Christie’s” à New York pour 72 millions USD, une des prix les plus élévé jamais obtenu par une oeuvre d’art. Quand il est décédé, à 37 ans, il n’avait rien de rien…